Le projet de directive entend moderniser le cadre législatif des entités de résolution extrajudiciaire de litige (ci-après entités « REL »). Les objectifs annoncés sont :
- adapter le cadre applicable aux entités REL aux marchés numériques, en élargissant leur champ de compétences pour y intégrer les droits des consommateurs susceptibles de ne pas être décrits explicitement dans les contrats ou ceux ayant trait à des phases précontractuelles,
- renforcer le recours au règlement extrajudiciaire dans le cas de litiges transfrontaliers, et
- simplifier les procédures REL dans l’intérêt de l’ensemble des acteurs, en réduisant les obligations déclaratives incombant aux entités de REL et les obligations d’information imposées aux professionnels, mais en introduisant une obligation de réponse à leur charge.
L’ULC, par son expérience en tant que membre partenaire des plus anciennes instances de médiation/conciliation du Grand-Duché de Luxembourg ( Commission luxembourgeoise des litiges de voyage, Médiateur en assurances) devenues « entités REL », est d’avis que les modifications opérées par la proposition de directive ne permettront pas d’atteindre, ou seulement très partiellement, ces objectifs.
- Quant à l’extension du champ d’application :
L'article 2 tel qu’il serait modifié propose d’étendre le champ d'application des « entités REL » aux litiges liés notamment aux droits des consommateurs, applicables aux situations non contractuelles ou précontractuelles concernant :
- Les pratiques commerciales déloyales
- L’information précontractuelle obligatoire
- Les pratiques de géo-blocage
- L’accès aux services et aux prestations.
- Le recours en cas de non-conformité des produits ou du contenu numérique
- Le droit de changer de fournisseur
- Les droits des passagers et des voyageurs
A première vue, cette extension peut paraitre bénéfique pour les consommateurs, puisqu’elle permettrait d’étendre les cas dans lesquels ces derniers auraient la possibilité de faire respecter leurs droits.
En y regardant de plus près, nous sommes d’avis que la mise en œuvre de ces nouvelles compétences risque de poser problème tout particulièrement en ce qui concerne les pratiques commerciales déloyales:
Jusqu'à présent, la résolution extrajudiciaire des litiges permettait de trouver des solutions à des litiges privés impliquant personnellement un consommateur et un professionnel. Or, les pratiques commerciales déloyales ont une dimension collective, en ce qu’elles sont généralement susceptibles de concerner tous les consommateurs.
Ainsi, les « entités REL » n’auraient plus pour seule mission la résolution de litiges en tant que tels, mais seraient sollicitées pour réguler ou tenter de réguler des pratiques générales.
Nous sommes d’avis qu’une entité REL, qui recourt aux techniques de médiation ou de conciliation, ne dispose pas des pouvoirs adéquats pour traiter des problèmes de dimension collective, susceptibles de constituer en outre des infractions pénales. En effet, les « entités REL » ne disposent d'aucun pouvoir pour mettre fin aux pratiques commerciales déloyales, ni de pouvoir de sanction.
Or les pratiques déloyales sont des pratiques constitutives d’infractions pénales. La question se pose si les autorités ne devraient pas alors être informées des pratiques constitutives d’infraction ? Une dénonciation obligatoire ne parait cependant pas compatible avec une procédure de médiation ou conciliation, censée être confidentielle.
En conclusion, nous estimons que l’extension du champ de compétence des « entités REL » aux pratiques commerciales déloyales n’est pas souhaitable.
- Quant au renforcement du recours au règlement extrajudiciaire dans le cas de litiges transfrontaliers
D’une part l’intention est louable, mais l’objectif difficile à atteindre, d’autre part ce renforcement risque d’entrainer des obligations trop contraignantes pour les petites « entités REL ».
Le simple fait d’étendre le champ de compétence aux professionnels résidant en dehors de l’Union permettrait en théorie aux consommateurs de recourir aux entités de REL en cas de réclamation à l’encontre d’un professionnel établi hors de l’UE, mais risquerait de s’avérer très aléatoire en pratique. Selon l’expérience de l’ULC en tant que membre d’« entités REL » sectorielles, les professionnels refusent fréquemment de participer aux procédure REL diligentées par une entité REL établie dans un autre pays membre de l’UE que le leur .
Par ailleurs, s’adresser à un professionnel établi à l’étranger, en dehors de l’UE, sur base d’un contrat conclu en ligne, est susceptible d’entrainer un véritable travail d’enquête de la part de l’entité REL pour identifier la personne morale exploitant le site, ou une quelconque adresse de correspondance officielle. Sans aucune contrainte d’accepter une telle procédure, avec un risque de voir le consommateur agir judiciairement encore plus faible à leur encontre qu’à l’encontre des professionnels établis dans l’UE, les professionnels établis en dehors de l’UE risquent dans la plupart des cas de refuser ou s’abstenir de participer à ces procédure : Imposer aux Etats membres de faciliter l’accès des consommateurs aux procédures de REL dans le cadre de litige impliquant un professionnel non établi sur le territoire d’un Etat membre, entraine ainsi des obligations difficiles à exécuter pour les entités REL, qui risquent de s’avérer disproportionnées par rapport aux résultats à en retirer.
- Quant aux mesures de simplification administrative
Si l’ULC salue la volonté d’alléger les charges administratives tant pour les entités REL que pour les professionnels, elle tient à souligner que cela ne doit pas être au détriment des consommateurs, et surtout que cela ne doit pas compromettre l’efficacité des entités REL
Aussi, l’ULC insiste sur le maintien des obligations d’information en matière de REL imposées aux professionnels :
La suppression de ces informations ne fera que réduire encore la popularité des instances REL auprès des consommateurs. L’ULC est d’avis qu’au contraire toute mesure susceptible de rendre les entités REL mieux connues des consommateurs doit être prise, à condition qu’elle ne crée pas d’obligation disproportionnée à charge des entreprises et entités REL
L’obligation pour les professionnels d’informer les consommateurs sur l’identité de l’entité REL compétente dans leur secteur économique et géographique, implique la simple insertion d’une mention ou liste dans l’un des documents contractuels. Il s’agit d’une obligation existante depuis de nombreuses années qui est censée être déjà mise en œuvre depuis longtemps. Si l’ULC prône généralement la plus grande uniformisation possible des règles, elle ne verrait pas d’inconvénient à ce que les Etats membres puissent, en cas de maintien de la prédite obligation, de décider d’exonérer les professionnels dans leur ensemble ou dans un secteur donné, si le nombre d’entités REL existantes sur leur territoire est trop important ou fluctuant.
Howald, le 9 février 2024